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Zakhor
Dans son numéro du week-end du 22 et 23 février 2014, le quotidien Le Soir publiait un « grand entretien » avec le philosophe Luc Ferry sous le titre (inquiétant) : « Les politiques n’ont aucune idée où ils vont ».
Selon le philosophe, « nos dirigeants sont devenus des techniciens de la politique, avec zéro vision du monde car zéro sens historique ».
Pour lui, retrouver le sens de l’Histoire (avec un grand H) est vital pour l’avenir de l’Europe.
En lisant cela, j’ai repensé d’emblée à l’injonction deutéronomique :
Souviens-toi des jours antiques,
Médite les annales de chaque siècle ;
Interroge ton père, il te l’apprendra,
Tes vieillards, ils te l’attesteront ! (Deutéronome XXXII, 7)
Dans le contexte biblique, cela paraît d’une évidence et d’une simplicité déconcertantes…
Et pourtant, à en croire Luc Ferry, les femmes et les hommes qui nous gouvernent semblent tout ignorer du bon sens de cette sagesse antique, celle de la nécessité d’un minimum de sens historique.
Israël a été la première tradition à donner sens à l’histoire. Zakhor, souviens-toi, est l’un des impératifs les plus récurrents de la bible hébraïque. Le verbe zakhar dans ses diverses déclinaisons apparaît dans la Bible pas moins de 169 fois.
Il me semble naturel et légitime d’essayer d’en comprendre la raison. Pourquoi une telle insistance ?
Le momentum annuel qui concrétise cette exigence biblique par excellence est le Seder de Pessakh, où il nous est demandé de consacrer toute la soirée au seul souvenir de la sortie d’Egypte, dont il faut parler et discuter, qu’il faut commenter et illustrer et - surtout - transmettre à nos enfants, afin que jamais la chaîne de l’identité juive ne puisse se rompre. Un premier élément de réponse semble ainsi s’imposer à nous : l’identité d’un peuple est conditionnée par la connaissance de son histoire.
Faire l’impasse sur celle-ci reviendrait à se couper de ses racines culturelles, ce qui provoquerait invariablement l’aliénation.
La pédagogie intrinsèque du rituel du Seder de Pessakh, se référant au texte biblique et ses exigences sur le plan de l’éducation, nous confronte à 4 types d’enfants, caractérisés par leur manière d’interroger les adultes : l’enfant sage, le révolté, l’enfant au caractère entier et naïf et l’ignorant intégral, « incapable de poser des questions ».
Et si le révolté fait l’objet de critiques, il est quand même présenté comme n’étant pas à court d’arguments, alors que le dernier, l’ignorant intégral, doit être repris en mains : on ne le laisse pas tomber, mais on s’en inquiète sérieusement.
L’ignorance est, en effet, considérée dans le judaïsme comme une forme aiguë d’aliénation qui va jusqu’à freiner irrémédiablement l’exercice-même du culte (voir p.e. PIrké Avoth 2,6).
Quant à la différence entre « mémoire » et « histoire », d’éminents historiens se sont penchés sur cette question, e.a. Yosef Hayim Yerushalmi (dans son livre « Zakhor, Histoire juive et mémoire juive »), sujet sur lequel nous espérons revenir bientôt
Michel Laub , Pessakh 5774