Exposition : “Lawyers without Rights” ou “Avocats sans droits”
Jusqu’au 16 février prochain, se tient une exposition remarquable dans la Salle des Pas Perdus du Palais de Justice de Bruxelles : « Lawyers without Rights » ou « Avocats sans droits » accessible au public les jours ouvrables de 8h30 à 17h.
Un catalogue accompagne utilement l’exposition.
Le 28/01/2010, Christian Laporte mettait en ligne, pour La Libre Belgique, une annonce concernant cette exposition et dont nous rappelons ci-dessous de larges extraits :
« Le barreau de Bruxelles rappelle la lutte des avocats juifs contre les Nazis.
Le monde judiciaire, et plus précisément le barreau de Bruxelles, tant francophone que néerlandophone, ont inauguré mercredi soir au palais de justice, en présence de collègues anversois, une interpellante exposition sur les “avocats sans droits” que furent les avocats juifs allemands dès 1933 dans le Reich et, à partir de l’Occupation, leurs homologues belges.
On l’a un peu oublié, mais bien avant la nuit de cristal, les persécutions et la terrible “solution finale”, les citoyens juifs allemands subissaient déjà des interdits professionnels. Et les hommes de loi furent en première ligne dès l’accession de Hitler au pouvoir en 1933. Dans un premier temps sous l’impulsion du président Hindenburg, les avocats juifs qui s’étaient battus pour l’Allemagne en 14-18 avaient vu leurs droits maintenus mais le rouleau compresseur nazi ne fit rapidement plus de distinction.
Outre-Rhin, leur honneur a été restauré avec la collaboration de la Deutsche Bundesrechtsanwaltskammer sous la forme d’une exposition didactique particulièrement éclairante sur les rouages de l’appareil d’Etat nazi et ses impitoyables lois raciales. L’an dernier, elle avait été présentée au nouveau palais de justice d’Anvers.
A l’occasion du 65e anniversaire de la libération des camps, les bâtonniers francophone et néerlandophone de Bruxelles, Mes Yves Oschinsky et Alex Tallon ont eu l’excellente idée de la présenter au cœur du palais de justice de Bruxelles.
Avec une mise en parallèle par rapport à ce qui avait été réalisé par le barreau d’Anvers qui avait complété l’expo allemande par une présentation des avocats juifs dont un grand nombre s’illustrèrent aussi dans la résistance.
Un travail mené dans la cité scaldéenne par le bâtonnier Jan Verstraete alors qu’à Bruxelles, c’est l’avocate honoraire Jacqueline Wiener qui a réalisé un travail de recherche tout à fait remarquable dressant ici des portraits particulièrement documentés des avocats juifs, soulignant là, le comportement exemplaire du barreau.
Comme l’a rappelé le bâtonnier Oschinsky lors de l’inauguration de l’exposition, le monde judiciaire belge d’origine juive a été très rapidement confronté à la puissance occupante puisque “dès le 28 octobre 1940, une ordonnance ordonnait l’exclusion des Juifs de la magistrature et du barreau”.
Une interdiction qui fut appliquée de manière bien différente à Bruxelles et à Anvers car, comme l’a montré l’étude du Centre Guerres et Sociétés Contemporaines sur la Belgique docile demandé par le Sénat, le conseil de l’ordre d’Anvers a exécuté presque sans sourciller toutes les prescriptions contenues dans l’ordonnance nazie. “L’expo rappelle ainsi” précise Me Oschinsky “que Régine Orfinger, devenue après la guerre une admirable figure du barreau de Bruxelles ainsi que seize confrères étaient purement et simplement radiés”.
A Bruxelles, par contre, le bâtonnier Louis Braffort, soutenu par son conseil de l’ordre, avait interpellé directement le général von Falkenhausen en des termes on ne peut plus fermes: “J’ai un devoir de conscience qu’aucune considération ne peut modifier, celui de dire que le principe même de l’ordonnance est en opposition directe avec le droit”.
Et de préciser au chef militaire allemand qu’il n’était donc pas question de prendre des sanctions disciplinaires contre les avocats d’origine israélite: “nous avons prêté solennellement le serment de rester fidèles à la Constitution du peuple belge et nous ne pouvons manquer à ce serment”.
Les prises de position courageuses de Me Braffort lui valurent de se retrouver sur la liste des personnalités belges à éliminer. Les collabos rexistes vinrent l’arrêter chez lui le 22 août 1944 et il fut lâchement assassiné à Wambeek à quelques jours de la Libération »
A l’occasion de la tenue de cette exposition, il nous a semblé opportun d’interviewer, pour les Nouvelles Consistoriales, Madame Jacqueline Wiener, qui a tant fait pour que cette exposition fasse également définitivement partie de la mémoire collective de la communauté juive de Belgique.
Pour cela, rendons lui un hommage ô combien mérité !
A propos de l’exposition « Lawyers without Rights » :
Entretien avec Jacqueline Wiener
ML - Madame Wiener, pouvez-vous vous présenter en deux mots, pour nos lecteurs?
JW - Le père de mon arrière grand-père, Jacques Wiener, fut président du Consistoire de 1884 à 1899. Une tradition familiale naquit avec son fils Sam Wiener, puisque je suis fille, petite-fille et arrière petite fille d’avocats et que j’ai moi-même exercé au Barreau de Bruxelles. Aujourd’hui, je suis avocat honoraire et c’est à ce titre là que je vous propose que nous évoquions ensemble l’exposition itinérante « Lawyers without Rights » - Avocats sans droits-, qui se tient actuellement au Palais de Justice de Bruxelles jusqu’ au 16 février prochain et au contenu de laquelle j’ai apporté ma contribution.
ML - En quoi consiste cette exposition « itinérante »?
JW- En 1995, un avocat israélien, Joël Levi, s’est enquis auprès des représentants des Barreaux allemands, de savoir s’il existait une liste des avocats allemands exclus des Barreaux allemands par les nazis, à partir de 1933. Il s’est rendu compte que cette liste n’existait pas, donc qu’on n’avait jamais, d’une façon ou d’une autre, rendu leur dignité, leur honneur à ces avocats juifs, qui étaient très nombreux en Allemagne. A partir de là a germé l’idée, en Allemagne, d’effectuer des recherches ; un livre a été édité et servi de base à la conception d’une exposition: « Lawyers without rights ». Itinérante, elle a fait le tour de l’Allemagne, l’a quittée à destination d’Israël où elle fut inaugurée en présence du Ministre israélien de la Justice, puis elle est allée notamment à Montréal, aux Pays-Bas et en Angleterre. Chaque pays ayant subi l’occupation allemande peut y accrocher l’histoire de ses propres avocats juifs persécutés par le nazisme puisque c’est là son thème. Pour ce qui concerne la Belgique, l’initiative en revient à l’avocat Jo Stevens, président de l’OVB (Orde van Vlaamse Balies) qui, ayant vu cette exposition, décida de l’importer chez nous.
ML - Pouvez-vous nous dire de quelle manière vous avez été amenée à être impliquée dans le projet ? Qui vous a contactée à ce sujet ?
JW - Au début des années nonante, Marc Goldberg, alors président de la toute jeune Fondation de la Mémoire Contemporaine-Fondation Jean Bloch, me demanda d’effectuer à titre bénévole un travail de recherches sur un sujet de mon choix afin d’encourager la genèse de cette institution naissante. Je lui proposai d’effectuer un travail qui, à titre personnel, m’interrogeait beaucoup : reconstituer le vécu des avocats bruxellois d’origine juive à l’époque de la Shoa. Je contactai quelques uns des avocats concernés encore en vie et ainsi débuta un long travail de Mémoire…
Au décès d’un des derniers survivants du drame qui intervint au Palais de Justice de Bruxelles en automne 40 et avec qui un lien affectif très fort s’était noué au fil des interviews, j’en restai là. Quelques biographies furent publiées dans les Cahiers de la Fondation de la Mémoire Contemporaine. Des notices furent reprises dans le Dictionnaire Biographique des Juifs de Belgique publié sous la direction de Jean-Philippe Schreiber. Il y a un an, je décidai de reprendre la tâche là où je l’avais laissée. Extraordinaire hasard, quelques jours plus tard, le bâtonnier Jan Verstraete, du barreau d’Anvers (auteur d’un livre paru en 2001 sur le même sujet concernant les évènements intervenus à Anvers) me contacta pour m’expliquer qu’une exposition itinérante allait être organisée en Belgique sur les avocats persécutés par le nazisme et pour me demander si je voulais bien m’occuper de la partie « Barreau de Bruxelles ».
ML - Et vous avez accepté…
JW - Bien entendu, j’ai accepté tout de suite et c’est comme cela que j’ai été amenée à apporter ma contribution au contenu de l’exposition. Et à reprendre mon ouvrage, mais sous une forme nouvelle. Il s’agissait de reconstituer des parcours de vie jusqu’alors inédits et parfois même totalement inconnus et, en outre, trouver des images pour illustrer le propos : des photographies, …
ML - L’exposition « Lawyers without rights » actuellement à Bruxelles est-elle semblable à celle qui s’est tenue à Anvers en novembre dernier ?
JW - Non. L’exposition actuelle est beaucoup plus complète car elle englobe les évènements intervenus à Bruxelles, contrairement à celle d’Anvers où le public n’eut accès d’une manière visible qu’à la contribution anversoise du bâtonnier Verstraete. Seul, le catalogue est identique.
ML- Venons-en maintenant à l’exposition proprement dite. Qu’y découvre t’on?
JW- Le visiteur qui entre dans l’immense Salle des Pas-Perdus du Palais de Justice de Bruxelles y découvre trois vagues d’Histoire : la bruxelloise, sous forme d’une grande circonférence mémorielle centrale à la salle ; l’anversoise, qui la prolonge vers l’arrière du bâtiment et enfin, l’allemande, qui entoure la deuxième et où est expliquée la persécution dont les avocats allemands d’origine juive furent l’objet dès l’accession d’Hitler au pouvoir en 1933.
ML- L’histoire racontée dans ce fameux cercle ne débute pas en 1940…
JW- Non. Il m’a semblé qu’il fallait commencer par expliquer l’historique des avocats d’origine juive en Belgique, qui ils étaient et dans quel contexte de citoyenneté ils vécurent, à l’instar de l’ensemble des Juifs de nationalité belge depuis l’Indépendance de la Belgique jusqu’à l’Occupation. Ensuite seulement est exposé, à l’aide d’illustrations, fac-similés, photographies, tout le contexte général des premières ordonnances allemandes antijuives en Belgique occupée : l’attitude de docilité des Secrétaires Généraux, l’interaction entre cette docilité, les avis émis par les éminents magistrats de notre pays et les réactions au sein du monde judiciaire.
ML - Est-ce que ces autorités belges, et en particulier le monde judiciaire de notre pays, avaient déjà pris des mesures antijuives avant l’arrivée des Allemands ?
JW - A Anvers, les avocats juifs avaient déjà été stigmatisés par la Vlaamse Conferentie - le Jeune Barreau néerlandophone-, qui en 1939 déjà, les avait exclus de ses rangs. Le Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau d’Anvers ne suivit pas tout de suite une ligne de conduite similaire, lors de la promulgation des ordonnances du 28 octobre 1940 : il commença par s’y opposer, suscitant par là même un malaise qui aboutit à une convocation adressée aux avocats concernés en avril 1941. La décision prise alors de les radier conformément au diktat allemand et le contexte de cette infamie sont expliqués grâce à la contribution du Bâtonnier Verstraete.
ML - L’exposition comporte, dans la partie anversoise, une biographie des 18 avocats exclus de la profession parce qu’ils étaient juifs. Dans la circonférence ne sont évoqués les parcours de vie que d’une dizaine d’avocats bruxellois. Or vous expliquez au visiteur que l’exclusion concernait une trentaine de personnes. Pourquoi n’avez-vous pas fait la même chose que pour Anvers ? C’est-à-dire repris une liste des avocats juifs qui avaient été visés par les mesures allemandes ?
JW - Nommément désigner tous les avocats bruxellois visés par les ordonnances allemandes du 28 octobre 1940 au sein de cette exposition aurait constitué une démarche à contresens de la constante attitude du Barreau de Bruxelles, lequel a toujours refusé, même aux jours les plus sombres de son histoire, de dresser une liste à vocation antisémite. Si le nombre restreint d’avocats bruxellois repris dans l’exposition s’explique notamment en raison de contraintes matérielles, quant au choix des avocats retenus, le plus intéressant était de prendre un personnage par type de parcours de vie : la Résistance, les Forces Armées alliées, la politique, le Conseil de l’Ordre, l’extermination à Auschwitz…
ML - Dans une des vitrines installées en guise de préambule à l’exposition figure un Juste parmi les Nations?
JW - Il s’agit de Max-Albert Van den Berg, un avocat du barreau de Liège, qui sauva la vie à plus de 400 enfants juifs. Déporté au camp de Neuengamme, il périt dans des circonstances atroces. Placer une photo de cet admirable homme au centre du Palais de Justice de Bruxelles me paraissait symboliquement un hommage justifié. La Mémoire de la Shoa ne peut être utilement transmise aux générations futures que si elle s’accompagne de la mise en exergue des hommes et des femmes qui au péril de leur propre existence, se comportèrent en êtres humains dignes et courageux.
ML - Madame Wiener, merci beaucoup. Je suis convaincu que vos explications limpides et édifiantes encourageront plus d’un à visiter cette exposition passionnante.
Propos recueillis par Michel Laub